Mais Bertin veut plus : il veut doter son jardin d’une œuvre originale et pérenne. Il veut un ouvrage ingénieux et de bel agrément dans le style des parcs de la Renaissance. Et il veut aussi que cette construction recueille les eaux de ruissellement issues de sa pièce d’eau creusée un kilomètre plus haut, aujourd’hui située dans la Villa Lambert.
Pour la construction de l’ouvrage, Soufflot trouve son inspiration dans ses souvenirs et dans l’évocation des Nymphes.
Les Nymphes – dont le mot en grec se traduit par jeunes filles ou fiancées –, sont de gracieuses déesses que les Grecs croyaient rencontrer dans les montagnes, près des rivières et des sources. Elles répandaient l’eau salutaire au moment du renouveau et habitaient dans des grottes. L'une d'elles, poursuivie par le Dieu Pan, lui échappa en se réfugiant dans une grotte et en se transformant en source. C’est ainsi que les grottes naturelles ou artificielles avec de l’eau sont devenues des sanctuaires consacrés aux Nymphes et ont pris le nom de « Nymphée ». On prêtait d’ailleurs aux eaux qui en jaillissaient un effet curatif.
L’architecte Soufflot a donc imaginé une grotte dédiée à une Nymphe autour de deux éléments audacieux : une longue voûte en forme de coquille adossée à un talus et un décor avec des incrustations de minéraux, de pierres meulières, de coquillages, de scories et de résidus de fonderie que le ministre Bertin avait à sa disposition.
Cette conception originale, supportée par 18 colonnes disposées en demi-cercle, donne un éclat particulier au Nymphée de Chatou.
Elle le situe aujourd’hui comme un élément majeur de l’art décoratif français dans les jardins à la fin de l’Ancien Régime. Mais cette construction édifiée entre 1774 et 1777 n’est pas que décorative, elle joue également un rôle utilitaire avec son système d’irrigation des eaux environnantes. Ce Nymphée est donc tout simplement unique par sa dimension (près de 30 mètres), son jeu chromatique inédit et ses prouesses techniques… et c’est aussi un des rares Nymphées encore existants en France !
La propriété que Bertin a mis plusieurs années à réaliser a été détruite et morcelée avec le temps. Classé monument historique le 4 juin 1952, le Nymphée est actuellement sur une propriété privée. Grâce à son emplacement retiré et protégé et grâce aux procédés novateurs utilisés par l’architecte, le Nymphée a résisté au temps, mais il est actuellement en danger. L’architecte spécialisé dans la rénovation de bâtiments historiques est alarmiste. Il pense que le Nymphée peut subir de graves dommages à tout moment et que les travaux de restauration – qu’il estime à 2 ans minimum – sont vraiment urgents.
Car outre la dégradation visible des colonnes, il faut aussi restaurer tout le système interne de récupération des eaux pour remettre le bassin en eau… sachant que la dernière restauration remonte à 1967 !
« Le Nymphée est un ouvrage remarquable par ses dimensions et la qualité exceptionnelle de son décor, mais également par la personnalité de son commanditaire, Henri-Léonard Bertin, ministre éclairé de Louis XV. Dans sa conception, le Nymphée illustre parfaitement le très haut degré d'aboutissement de l'art de la stéréotomie (l'art d'appareiller les pierres) en France au XVIIIe siècle, la structure de pierre de la voûte en anse de panier étant stable.
Le Nymphée, dont l'état préoccupant nécessite des travaux d'étaiement en urgence, de dépose soignée en réemploi des décors et de reprise structurelle qui seront d'une très grande complexité technique. Le protocole d'intervention passera nécessairement par une première campagne "test" de travaux sur deux ou trois travées dès 2020, l'état réel de la structure restant à mettre au jour.
Il s'agit ici véritablement d'une campagne de sauvetage de cet édifice remarquable, laquelle ne pourra se faire qu'avec une volonté très forte de la commune, des propriétaires, des différents intervenants extérieurs, de la Conservation Régionale des Monuments Historiques (CRMH) et des donateurs qui vont aider au financement ».